presse review #2
Frédérick Rousseau joue à pile ou face selon qu'il compose ses propres
albums ou supervise des musiques de films. Et crée des ponts entre les
deux. Tears, son dernier album, est une plongée dans un univers plus
personnel.
KR: Entre superviseur musical pour Oliver Stone et la sortie de votre nouvel album, arrivez-vous à dormir?
Frédérick
Rousseau: Depuis que je fais ce métier, j'ai très souvent plusieurs
projets sur le feu en même temps. Par mon travail avec Vangelis, ou
celui de superviseur musical, je suis régulièrement impliqué dans des
projets passionnants. Que ce soit pour un album, un
concert ou un
film, Il y a forcément des charrettes, des deadlines et donc des nuits
blanches. Heureusement, il y a des moments plus calmes qui me
permettent de passer en mode compositeur et de me plonger dans mon
propre univers.
KR: Parlons tout d'abord de votre face artistique. Comment est né Tears?
Frédérick
Rousseau: Tears est né de rencontres, d'impressions, d'événements qui
m'ont touché, également de manques que j'ai cherché à combler. C'est un
album plus personnel que Mo ou Terres de Légendes, où l'émotion était
centrée sur la voix ethnique autour de laquelle j'ai construit et
orchestré ma musique. Pour Tears, je suis parti de ce que j'ai ressenti
au plus profond de mon être, à des périodes différentes,construisant
l'album par paliers.Par exemple,le titre«Tears and Rain» parle d'une
jeune fille en larmes dans un sushi-bar de Londres, dans la plus pure
ambiance "blade-runnerienne »,ce qui m'a permis de faire ce clind'reil
à Vangelis. « Les Racines)} sont la synthèse de trois conversations:
une enfant, une jeune fille hongroise, un vieil homme africain.Chacun
parle de ses racines, à sa manière. C'est un morceau qui touche au
monde souterrain des origines. La" Première Larme d'amour»,on
croitqu'elle va vous anéantir tant elle est douloureuse. Mais plus
tard,c'est celle dont on se souvient avec le plus de tendresse.Ce sont
tous ces instants vus ou vécus que j'ai voulu mettre en musique et qui
ont fait de Tears un album personnel, un journal intime
.
KR: Comment mesurez-vous le chemin parcouru depuis Mo?
Frédérick
Rousseau: Artistiquement, j'ai toujours essayé de faire des albums qui
me plaisaient. Des albums nécessaires... Dans le même temps, j'ai aussi
collaboré à des musiques de films avec d'autres compositeurs: Alexandre
Desplat avec Hostage et L'Enquête corse, Vangelis avec 1492, Kavafis et
Alexandre, Éric Lévi avec Les Visiteurs, Les Anges Gardiens. Mon
parcours artistique a évolué parallèlement à une vie professionnelle en
mouvement; assistant de production, programmeur, musical editor. Mon
activité professionnelle a nourri ma recherche artistique. Douze ans se
sont écoulés entre Mo et Tears. Quatorze albums jalonnent cette
distance et chacun est radicalement différent du précédent. Spirit in
The Woods et Woods se démarquent de Mo par les voix africaines et leur
esprit roots. Abyss a été composé en collaboration avec des
médecins,une sorte d'album thérapeutique, de «no-music)}. La série
Terres de légendes a été créée à partir de documentaires ethniques. Mon
univers sonore a évolué en fonction des progrès techniques et
technologiques. Par les rencontres acoustiques provoquées par le hasard
ou par la chance aussi.
KR: Côté technique, de quoi se compose votre setup?
Frédérick
Rousseau: J'ai choisi depuis quelques années de créer un nouveau set-up
à chaque projet, Je fabrique un univers électronique propre à chaque
production, je sélectionne les synthés, plug~in, console, séquenceur,
instrument vintage, afin de m'obliger à toujours rester en mode"
recherche et développement». De plus, je crois beaucoup à l'esthétique
des claviers, il faut qu'il te donne envie de jouer, tu dois trouver du
plaisir à manipuler ces machines,à rechercher une configuration sonore
original. En ce moment, mon set-up s'organise autour d'un G5 en mode
Pro Tools uniquement, un G4 en mode séquenceur MIDI et un audio loops,
deux Pentium 4 équipés de Giga sampler et Scope (Cre@mware), un
Titanium en mode synthé virtuel... Le reste n'est qu'analogique et
occasionnel comme le DX7, JD 800, Memorymoog, ARP 2600 ou le CS 80, ce
sont des instruments qui possèdent vraiment une âme et un caractère
unique. Mon set-up reste toujours hétéroclite car je laisse la place à
l'aléatoire pour être mieux surpris.
KR: On croise quelques invités sur cet album. Comment se passent ces collaborations?
Frédérick
Rousseau: Parmi les artistes qui ont collaboré à Tears, certains sont
des amis de longue date comme Seydina Insa Wade dont j'aime énormément
la voix et le phrasé musical. Alexandre Desplat m'a fait un très beau
cadeau en acceptant de diriger l'orchestre et la fluidité de ses
orchestrations à parfaitement collé à mes climats électroniques. Ma
collaboration avec l'ingénieur du son Philippe Colonna date de quinze
ans et a permis de développer une complémentarité et une complicité
très efficaces. Ma rencontre avec le violoncelliste Vincent Segal a eu
lieu sur la musique des Infortunes de la beauté de John Lwoff. Il m'a
fait découvrir une chaleur de son et une musicalité exceptionnelles qui
ont parfaitement traduit l'émotion que je recherchais pour
l'interprétation de " Première Larme d'amour ». J'adore les basses de
Roberto Brio. Il est polyvalent et attachant par sa personnalité et son
implication.
KR: Parlons de votre travail de superviseur
musical. Est"ce votre collaboration avec Vangelis qui vous a poussé à
prendre cette voie?
Frédérick Rousseau: Oui, Vangelis étant
le compositeur du score d'Alexandre, mon travail a
naturellementcommencéavec lui en Grèce, en octobre2003,pour les
musiques sources servant au tournage de certaines scènes comme celle du
harem ou la danse de Roxane. Le score définitif a étécomposé jusqu'en
juin 2004, Après leur passage à Athènes, j'ai rejoint Oliver Stone et
son complice Budd Carr à Paris pour commencer mon travail de musical
edÎtor. J'ai commencé par caler toutes les musiques sur le film, puis
fait valider par le réalisateur les musiques symphoniques à
enregistrer. Le 29 juillet, on commençait, avec Philippe Colonna et
Stéphane Briant, l'enregistrement de l'orchestre par section, pour
Vangelis. Pendant les onze jours de studio, une liaison internet ~six
lignes ISDN) transmettait la musique en temps réel à Athènes,
permettant à Vangelis, via iChat, d'intervenir à tout moment sur
l'interprétation de sa musique. Après chaque séance, je repartais avec
un prémix que je remplaçais immédiatement sur l'image. L'aventure de
musical editor prenait forme...
KR: Comment s'est passé l'aventure avec Oliver Stone?
Frédérick
Rousseau: C'étaitréellementuneaventureincroyableetune expérience
unique. À partir de juin 2004, je suis devenu le pont entre Vangelis et
Oliver Stone qui, sur place, m'indiquait les modifications
apportéesàsonfilmetleurincidencesurlesmusiques. Il fallait constamment
éditer, réajuster la musique au nouveau eut. Certaines scènes comme la
guerre de Gaugamela ont connu plus de quaranteverslons différentes et
la musiquedéfinitive a nécessité une cinquantaine d'édits dans
l'orchestrel Dans certains cas, le caractère de la
scèneayantradlcalementchangé,Vangelisadû entièrement repenser et
recomposer lecut. En août, la difficulté s'est corsée avec la nécessité
de reproduire tous les édits stéréo sur les sessi ons multipistes
(l'orchestre, les chreurs, les percus et les tracks deVangelis
occupaient une centaine de pistes sur Pro Tools) afin de permettre à
Philippe de mixer le score définitif en format 5.1 et stéréo pour le
CD. Ce travail achevé début octobre, je pars pour Londres assister au
mixage définitif du film et effectuer les derniers édits nécessaires
pour ajuster les génériques de début et de fin.
KR:Qu'en retirez-vous?
Une expérience enrichissante bien qu'éprouvante. J'ai aimé faire ce
film et me suis vraiment investi pour ce travail de musical editor.
J'ai assisté à l'évolution du film, à sa
constructionetàsesdifficultéstechniques.J'aiaussi été témoin de
l'impressionnante énergie dé" ployée par Oliver Stone pour aller au
bout de son histoire...
KR: Des projets?
Frédérick
Rousseau: Oui, comme toujours. Mon projet le plus proche? Un double CD
pour septembre qui s'intitulera Uneiournéesurla Terre.
CMDM
Frédérick Rousseau Tears (Milan Music/Universal)
À pile ou face
Le
parcours de Frédérick Rousseau est riche de nombreuses aventures
musicales et non des moindres.Au début des années 80,iI dissèque les
synthétiseurs et autres sampleurs de légende à Music Land, lieu
mythique. En 1981, il participe activement aux concerts en Chine de
jean-Michei jarre (première mondiale). Ensuite, tout s'enchaîne:
Vangelis (dès la bande originale de Blade Runner),des séances à Paris,
Londres, etc. Il participe même à la fondation du cêlèbre studio Mega,
aux cotês de Thierry Rogen, Puis débute une longue. collaboration et
complicité avec Vangelis, de façon plus exclusive. Mais c’est mal
connaitre Frédérick Rousseau, qui ne manque pas une occasion de se
mettre en danger Ses albums personnels se succedent à un rythme
soutenu.il n'est donc guère étonnant de retrouver aujourd'hui cet
artiste au service de réalisateurs ou d'artistes
talentueux,et poursuivant sa quête personnelle à travers une production musicale de plus en plus mature.